La divergence des positions française, européenne et américaine en matière de brevetabilité des logiciels

//La divergence des positions française, européenne et américaine en matière de brevetabilité des logiciels

En Europe, la Convention de Munich relative au brevet européen (CBE) prévoit les conditions d’octroi d’un brevet.
Si un brevet peut être accordé pour une invention nouvelle, inventive, susceptible d’application industrielle et décrite de façon claire et complète, l’article 52 de ladite convention refuse néanmoins expressément aux programmes d’ordinateurs en tant que tels cette possibilité d’être protégés par brevet, ne les considérant pas comme des inventions.

Cependant, une invention intégrant un logiciel peut faire l’objet de la délivrance d’un brevet européen par l’Office européen des brevets (OEB).
En effet, la jurisprudence de l’Office européen des brevets (OEB) – et depuis 2001, certaines de ses directives – ont assoupli l’exclusion posée par la Convention de Munich, en précisant que si un logiciel, revendiqué pour lui-même et indépendamment de son contenu, n’est pas susceptible d’être breveté, en revanche, si l’objet revendiqué apporte une contribution de caractère technique à l’état de la technique, alors la brevetabilité ne saurait être refusée. Ainsi, plusieurs décisions rendues par l’OEB ont admis la brevetabilité des programmes d’ordinateur dès lors qu’ils présentaient des caractéristiques techniques nouvelles et inventives. (Par exemple, les décisions de l’OEB suivantes : Sohei, 31 mai 1994, IBM 1er juillet 1998, Phillips 15 mars 2000, Pension benefit System Partnership 8 septembre 2000).

Néanmoins, la position de l’OEB n’est pas toujours suivie par les juridictions françaises.
Dans une décision en date du 18 juin 2015, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris a invalidé un brevet européen.
Le litige opposait les opérateurs téléphoniques Orange et Free dans lequel Orange estimait que Free utilisait, à travers l’une de ses offres, une invention que Orange avait brevetée par le biais d’un brevet européen. L’opérateur appuyait en l’espèce ses revendications sur la CBE et la pratique de l’OEB en la matière. Le TGI de Paris remettait en cause le brevet européen délivré au motif que « la délivrance de brevets pour les programmes d’ordinateurs, fussent-ils dénommés programmes-produits, n’est en effet soutenue par aucun texte ou par aucune difficulté d’interprétation de la CBE et au contraire ceux-ci sont clairement exclus en tant que tels de la brevetabilité ». Par cette décision, le TGI de Paris déclarait nulles pour « défaut de brevetabilité » les revendications de l’opérateur téléphonique et rejetait l’action en contrefaçon engagée par Orange.

Aux Etats-Unis, jusqu’à récemment, l’approche américaine sur le sujet était plus libérale, le droit américain admettant la délivrance de brevet pour un logiciel dès lors qu’il était démontré que l’invention allait au delà de simples abstractions et était utile (§101 Patent Act).
Cependant, depuis une décision Alice Corp. c/ CLS Bank International rendue par la Cour Suprême des Etats-Unis le 19 juin 2014, la brevetabilité de ce type d’inventions était partiellement remise en cause.

Déjà, dès 2010 et sa décision Bilski, la Cour avait écarté la brevetabilité des idées abstraites.
L’arrêt Alice restreignait quant à lui encore les possibilités de brevetabilité des logiciels, par l’application d’un test, déjà éprouvé à l’occasion d’une décision « Mayo ». Ainsi, pour qu’un logiciel soit considéré comme brevetable, il convenait de répondre à deux questions. Tout d’abord, le déposant devait s’interroger sur le point de savoir si le brevet portait sur un concept ou une idée abstraite non brevetable. Si tel était le cas, il convenait alors de savoir si le brevet concernait des éléments additionnels qui permettraient de breveter. Si la réponse était négative, il ne serait ainsi pas possible d’obtenir un brevet. Aux termes de cette décision, il apparaissait donc qu’il ne suffisait pas d’automatiser une idée abstraite pour pouvoir la breveter. Il faudrait pour ce faire qu’un effet technique supplémentaire soit produit, et cela au-delà du fonctionnement normal d’un ordinateur.

Ainsi, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, la question de la brevetabilité des logiciels reste épineuse. Un brevet logiciel pourrait être remis en cause par une juridiction du fait de son absence de brevetabilité au regard de la loi et la jurisprudence applicable. L’intérêt de breveter doit ainsi être dûment calculé notamment du fait des coûts engendrés par un tel brevet et de ses extensions à l’international.